- « Il était une fois… Non, mon histoire ne peut pas commencer comme ça, nous sommes trop loin du conte de fées, et trop proches du cauchemar… »
Vestrit eut un rire sans joie qui s’acheva dans une quinte de toux. L’intérieur de sa gorge avait entamé une lente décomposition, heureusement la respiration n’était pour elle qu’une habitude dont elle se débarrasserait bientôt. Elle fixa le brasier de ses orbites vides ou dansait le feu de son âme torturée.
***
En ce matin d’automne, le corps sans vie d’Althéa Vestrit avait été rapatrié à Brill. Le clan Vestrit pleurait celle qui était partie défendre ses idéaux sur les champs de bataille, fauchée si jeune par la mort avide. Les mains brûlées, et le cœur percé par un trait de magie, voilà tout ce qui prouvait qu’Althéa était morte. Son corps fut si bien préparé par le croque-mort du village qu’on eut pu la croire encore vivante. Mais sa peau était bien froide, et son cœur ne battait plus et ne battrait plus jamais. Une longue procession d’amis suivit le cercueil de la Mage, avant de la voir rejoindre sa dernière demeure. Une pelletée de terre, puis deux, puis trois… Les vivants quittent le petit cimetière, et rentrent chez eux. La vie reprend son cours, mais pas pour longtemps.
La Peste ! Une peste comme on en n’a jamais vue. Si virulente qu’elle tue tout le monde à des kilomètres à la ronde. Les corps en décomposition jonchent les rues, Lordaeron est morte… Puis la vie. Mais une vie tourmentée, putride, surnaturelle…
« Au beau milieu de la nuit, je me suis éveillée. Il faisait noir et j’étais manifestement dans un espace confiné. J’entendais creuser au dessus de moi. Puis, la lumière de la lune. J’étais aveuglée, effrayée, mais ce n’était rien à côté de ce qui m’attendait. Quand mes yeux se sont habitués à la lumière, j’ai compris que mes libérateurs étaient des morts. Et alors j’ai compris que j’étais morte moi aussi. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir, le Roi Liche était là, et il m’a imposé son contrôle mental. Après, c’est un trou noir. J’ai quelques réminiscences de massacres. Le sang, la mort… »
Un jour de bataille. L’Alliance remporte une petite victoire en tuant l’un des nécromants. L’emprise mentale que ce nécromant avait sur ses sbires est rompue… mais pas la magie qui les maintient en vie.
« J’étais là, au milieu du champs de bataille, désorientée, perdue… Un autre mort me prend par la main et m’entraîne dans les bois. « Viens, ne reste pas là, sinon ils vont nous voir ! ». Je l’ai suivi, sans savoir où il m’emmenait, ce que nous faisions là… J’avais oublié jusqu’à mon nom. »
« Alors on m’expliqua. Le Roi Liche, l’emprise mentale brisée, la volonté retrouvée. Le choix de certains d’entre nous de former une faction, « Les Réprouvés », pour se venger du Roi Liche. Une certaine Sylvana se portait déjà volontaire pour être notre leader. Moi… moi je n’avais qu’une envie, retrouver mon village, voir si ma famille avait pu échapper à la peste et aux massacres. On me laissa libre de partir me rendre compte par moi-même. J’avais de la chance, mon trop court séjour en terre n’avait pas permis au temps et à la vermine de faire son œuvre sur mon corps. De plus, en tant que mage, je n’ai eu à participer à aucun combat au corps à corps, j’ai donc réussi à conserver tous mes membres. Bien vêtue, et malgré ma démarche chancelante, on remarquait à peine ma « non-vie ». Ce que je vis à Brill renforça mes craintes. Partout la désolation, partout des morts-vivants comme moi. Et mon ancienne demeure mise à sac et maintenant habitée par des morts-vivants. On m’indiqua une fosse commune où je pourrais trouver les restes de ceux dont les corps sont par trop abîmés pour reprendre vie. J’y découvris les restes mutilés, massacrés, de mon époux et de mes parents. Ma mère, je ne la reconnus qu’à son amulette. Mais nulle trace de mon fils. Si j’avais eu des larmes, j’aurais pleuré. »
« Je décidai de rejoindre les rangs de l’Alliance, pour leur apprendre ce qui se passait ici. Le Roi Liche nous dépouillait de tout ce qu’il nous restait : la mort et le repos éternel, pour servir son œuvre maléfique. Il massacrait tout sur son passage, les corps de ma famille en étaient une preuve suffisante. Mais certains d’entre nous, mus peut-être par une volonté supérieure, se détachaient de son emprise. J’en étais persuadée, nous pouvions aider l’Alliance à contrecarrer les plans du Roi Liche. Le sort en décida autrement. »
« La Croisade Ecarlate. A l’époque où j’étais vivante, j’en avais entendu parler, vaguement. Ils combattaient le Fléau, je n’étais que très peu concernée. Aujourd’hui, j’étais au cœur du problème, je m’en rendis vite compte. Un de leurs détachements me tomba dessus, sur le chemin de Stormwind. Cinq gardes armés et à cheval, contre une femme, morte de surcroît, la capture leur fut aisée. Ils m’emmenèrent au Monastère Ecarlate. J’eus beau leur expliquer que j’étais de leur côté, que je voulais les aider à vaincre le Roi Liche… Je déclinai même mon identité, rien n’y fit. On m’emmena finalement dans une salle de tortures. Attachée sur une table, on me laissa seule. Une seule torche brillait dans la pièce. J’entendis le bruit d’une porte qui s’ouvre, et les pas de deux hommes s’approchant de moi. »
- « C’est elle petit ? » fit la voix gutturale d’un homme adulte,
- « Je… » sanglotta un enfant, « oui, c’est elle. »
- « Alors tu sais ce qu’il te reste à faire, pour le salut de son âme, et le salut de la tienne ».
« Le jeune garçon acquiesça et se dirigea vers le râtelier, où il prit un tisonnier. Mon fils. La Croisade avait recueilli mon fils. Et elle en avait fait un fanatique. Je tentais de le raisonner. »
- « Sven, mon petit, qu’est ce que tu fais ? »
- « Ne me parlez pas ! Et ne m’appelez pas votre petit, ma mère est morte, vous n’êtes qu’une créature des ténèbres qui habite ses chairs ! »
- « Non Sven, c’est bien moi, le Roi Liche a réveillé mon corps, mon corps mort, mais mon esprit et mon âme sont bien là depuis que je me suis défait de son emprise. Sven, tu ne vas pas me torturer ? Je suis venue apporter mon aide à l’Alliance pour vaincre le Roi Liche ! »
- « Mensonges ! Même si tu étais ma mère, immonde créature, je te tuerais pour ce que tu es, une abomination, les morts ne marchent ni ne parlent, ils doivent reposer six pieds sous terre ! »
« Et Sven se précipita sur moi avec son tisonnier brûlant, prêt à me l’enfoncer dans la poitrine. La peur, la colère, les réflexes de maints combats… je ne sais pas ce qui peut expliquer mon geste. Rien ne pourra le pardonner en tout cas. Faisant appel aux arcanes, j’ai transpercé le corps de mon enfant de mille traits magiques, avant de me libérer en faisant fondre mes liens grâce aux pouvoirs du feu. J’ai ensuite jeté le corps de mon enfant, Sven, mon fils unique, dans les oubliettes, et j’ai ouvert un portail magique pour Lordaeron, nouvellement baptisée Undercity. »
« J’ai compris que jamais je ne pourrai convaincre qui que ce soit du bien fondé de mon combat, si ce n’est les autres morts-vivants. Nous étions à part. Personne ne comprenait notre nature profonde, et personne n’avait envie de la comprendre. Je sus alors qu’il n’y avait plus qu’une chose à faire : obliger tout le monde à partager notre sort. Jamais les vivants n’accepteront de cohabiter avec les morts. Mais si tout le monde meurt… »
« De ce jour, j’ai rejoint le camps des Réprouvés. J'ai abandonné mon prénom pour ne garder que mon nom. Mon clan tout entier a été anéanti par le Fléau, et je les vengerai en semant la mort. Nous combattons les rangs du Roi Liche parce qu’il nous a éternellement privés du repos de la mort, et parce qu’il a eu l’audace de prendre le contrôle de notre esprit. A côté de cela, nous oeuvrons à créer une nouvelle peste et à recruter de puissants nécromants. Curieusement, quand les gens deviennent comme nous, ils comprennent notre cause… »